Qu’est-ce qui vous fait avancer ? Qu’est-ce qui permet aux hommes de réaliser leurs rêves ? Qu’est-ce qui peut ruiner nos vies ? L’HISTOIRE nous fournit des réponses. Examinons, analysons les faits qui bouleversent notre société. Les lectures les plus diversifiées ouvrent notre esprit sur le Monde. Lire a tant de mérites : imaginer, apprendre, rêver…
Extrait du livre « L’affaire des officiers algériens » écrit par le lieutenant Rahmani en captivité :
[Je livre cette lettre au lecteur telle qu'elle fut - dans sa forme définitive - adressée à M. le Président de la République. Ses termes mesurés, respectueux mais fermes, sont le reflet exact de notre débat de conscience et se passent, il me semble, de commentaires. Par son esprit ou sa forme, devait-elle entraîner l'emprisonnement de plusieurs d'entre nous?
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Monsieur le Président de la République, A l'issue de différentes rencontres, l'ensemble des officiers algériens en activité au sein de l'Armée française ont convenu de porter à la connaissance de M. le Président de la République le cas de conscience dans lequel les place la politique actuelle menée en Algérie. Face aux événements qui bouleversent depuis plusieurs années notre pays, nous restons soucieux de demeurer fidèles à notre parole d'officiers et à l'idéal d'amitié franco-algérienne auquel nous consacrons notre vie. Passant outre aux brimades mesquines, aux injustices ou règlements humiliants qui pouvaient marquer notre carrière, nous avons rempli notre devoir de soldats sur tous les fronts où la France nous envoyait la défendre. Qu'il nous soit permis de rappeler que, depuis 1832, les Algériens ont contribué par leur sang et leur bravoure à la grandeur de la France et à la création de son empire d'outre-mer. Liban (1869-1918), Mexique (1881), Indochine (1888), Afrique occidentale, Madagascar (1895), Afrique équatoriale (1908), Maroc (1925-26), Syrie (1920) et tant d'autres ... Guerres de 1870 et de 1914-18. Aux jours sombres de 1940, aucun Algérien n'a trahi sa patrie adoptive malgré l'action défaitiste des Allemands et la faiblesse de la France. Toujours égal à lui-même, l'officier algérien a servi la France dans les bons comme dans les mauvais jours. Qu'il nous soit permis de rappeler encore les innombrables morts Nord-Africains qui jonchèrent les champs de bataille de Tunisie, d'Italie, de France, d'Allemagne, d'Indochine, de Corée.; aujourd'hui d'Algérie, au sein d'une armée dite de « pacification". Si nous gardions secrètes toutes nos amertumes et nos inquiétudes, c'est que d'une part notre éducation même nous attachait au pays que nous servions et que d'autre part, nous voulions espérer que nos sacrifices serviraient tôt ou tard l'amitié franco-algérienne. Aujourd'hui, cet espoir fait place à la conviction profonde que la tournure des événements actuels va à l'encontre même de cet idéal. Notre situation d'officiers algériens est rendue intenable par la lutte sanglante qui oppose nos camarades français et nos frères de sang, ceux-là mêmes qui les libérèrent il y a douze ans, aux côtés des Forces françaises libres. Lutte visant à approfondir davantage le fossé entre deux éléments appelés à cohabiter pacifiquement. Si nous nous adressons à vous, qui représentez la nation française, ce n'est certes pas pour rompre avec notre passé de soldats au service de la France, ce n'est pas non plus pour nous dégager de tous les liens d'amitié, de camaraderie, de fraternité, qui nous attachent à elle, ainsi qu'à ses traditions militaires, mais par hostilité el l'égard d'une politique qui transformerait, si nous l'approuvions, cet attachement en trahison envers le peuple algérien qui nous regarde et envers la France qui a et aura besoin de nous. En définissant notre position et les sentiments qui nous animent aujourd'hui, nous faisons appel à votre compréhension, avec la certitude de nous maintenir, par cette démarche exceptionnelle, dans les traditions de loyauté et de droiture qui font la force de tout officier d'honneur. Nous n'en voulons pour preuve que celle-ci : Depuis les événements d'Algérie, nous n'avons ni failli, ni pris la parole contre la France. Des officiers algériens continuent à servir la cause française face à leurs compatriotes, peut-être même à leurs parents, et tombent au service de la France en Algérie. Nous maintenons nos tirailleurs et sous-officiers algériens dans le calme et la discipline. Mais aujourd'hui, déchirés par ce terrible dilemme dont on ne voit pas l'issue immédiate, nous vous disons loyalement et respectueusement : Si la politique française ne se dirige pas vers une solution équitable, nous n’aurons plus ni les moyens ni les raisons valables pour justifier notre mission au sein de l'Année française. Nous tenons à proclamer que notre démarche n'est empreinte d'aucune idée de rébellion, d'aucun acte d'indiscipline. Officiers français d'origine algérienne, nous sommes conscients de l'écrasante et douloureuse responsabilité qui nous incombe face à la France, face à l'Algérie. Nous sommes et pourrons faire un lien solide entre nos deux peuples. En notre âme et conscience, la seule solution est une orientation vers un règlement pacifique dénué de toute violence, ce qui permettrait d'engager une conversation immédiate et loyale entre les représentants des deux communautés. Nous demandons en outre au chef suprême de l'Armée de trouver une issue honorable au cas de conscience posé à la corporation des officiers algériens, tant que les événements présents séviront.
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Soucieux de l'efficacité de notre démarche, nous avions convenu de prendre l'avis des leaders politiques français. Nous voulions, avant toutes choses, comprendre les raisons, l'utilité et les objectifs secrets (peut-être le fondement) d'une politique apparemment illogique et odieuse. Nous pensions que le gouvernement français, fidèle à la maxime de Louis XI : Celui qui ne sait pas dissimuler ne sait pas régner, avait un programme que seuls les initiés connaissaient ... Loin de vouloir aggraver le malaise, nous désirions tenter de nous rendre utiles en offrant nos services, services que nous définirons plus loin. La majorité des personnalités contactées semblait avoir compris l'esprit coopératif de notre démarche. La plupart nous avouaient n'avoir jamais pensé à la ressource que représentaient les officiers algériens; d'autres ne croyaient même pas qu'il en existât dans l'Armée française ...]
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* Commentaire : pour avoir voulu s’interposer comme médiateur dans ce conflit franco-algérien, le lieutenant Rahmani fut embastillé. Il reçut le soutien de nombreuses personnalités – dont le général de Gaulle – mais les soubresauts de la IVème République retardèrent les négociations. Le lieutenant Rahmani paya très cher son entreprise de médiation. Quelques années auparavant, il avait ressenti une grande désillusion en servant dans le bataillon français de l’ONU en Corée. S’atteler à ramener la paix n’est pas une tâche facile, le lieutenant Rahmani en est l’illustration.
Christian Dechartres – écrivain public, biographe – www.cd-lmdp.fr – 06.11.48.77.63
Observateur de la comédie humaine
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